
Il n’est au monde aucun bien qui ne s’accompagne d’un mal à sa mesure. Giacomo Leopardi (1798-1837). Zibaldone di pensieri
Ce qui étonne le plus est son nom. On a l’impression qu’il s’agit d’un jeune homme de très bonne famille, doté d’excellentes mœurs évoquant des terres bien de chez nous. C’est ainsi que Gilles de Montmorency-Laval est, en dehors des tyrans de l’histoire, le plus ignoble monstre connu de l’histoire de l’humanité, encore à ce jour jamais égalé dans l’horreur. Une fois de plus, je vais me limiter dans le descriptif, si peu suffira à vous dépeindre l’atroce abjection de sa nature monstrueuse. Vous m’avez d’ailleurs maintes fois remercié pour cette décision de ne pas décrire dans le détail les gestes posés. Ici, je ne le ferai qu’une seule fois et c’est tout, ce sera nettement suffisant.

Nous allons nous confronter à l’horreur, sans que le jugement ne se brouille, ni que l’intelligence trébuche. Nous allons explorer les gestes, sans s’y vautrer, afin de déterminer le pourquoi profond, l’origine primaire de ces derniers et d’en extirper la preuve que le Mal s’y cache, ou alors qu’il n’y est pas. Voici sans doute un des plus grands candidats à incarner le Mal absolu ! Ceux que nous avons cités au préalable n’étaient… que des amateurs.
Il est mieux connu sous le nom de Baron Gilles de Rais, né vers 1405 à Champtocé-sur-Loire. Il combat au cours de la guerre de Cent Ans, contre les Anglais et côtoiera la Pucelle d’Orléans, Jeanne d’Arc.[1] La plus immonde vérité sur ce personnage sera le meurtre rituel, prémédité, songé et calculé d’enfants, et que d’enfants, dont le nombre est estimé à possiblement beaucoup plus que les 140 avoués ![2]
Le baron meurtrier devient ainsi l’incarnation d’une structure perverse intemporelle, n’ayant plus qu’un lointain rapport avec la triple accusation médiévale de rébellion, de pacte avec le diable et de rapports contre nature.[3]
Il y a tueurs et tueurs sadiques. Dans une biographie de Gilles de Rais publiée en 1926, l’historien Émile Gabory rappelle la réalité des meurtres sadiques ou rituels et la place ultime qu’il en occupe au sommet. Dans le même ordre d’idées, l’historien médiéviste Olivier Bouzy compare l’odieux Andreï Tchikatilo[4] à Gilles de Rais, mais ce tueur ukrainien des années 90, sans être pris à la légère avec ses 52 victimes tuées, mutilées et martyrisées avant d’en mourir, n’arrive pas à la cheville de Gilles de Rais. Personne d’ailleurs n’y parvient.
Revenons à Gilles de Rais dont les premiers crimes se situent autour du 15 novembre 1432. Contrairement à la presque totalité des tueurs en série, ce n’était pas un loup solitaire, mais le leader d’un clan de tueurs et de rabatteurs à son service. Et les lieux préférés de ses crimes étaient bien à la vue, dans ses propres résidences, soit celle de Champtocé, sa maison de Suze à Nantes et ses châteaux de Tiffauges et de Machecoul. Il dit avoir, pour son plaisir et selon sa volonté, fait tout le mal qu’il pouvait. Il ne fuyait pas la Lumière, il la déchiquetait ! Il sera donc intéressant de déterminer ici les marqueurs du tueur, les éléments déclencheurs. Était-il un Dion ? Un Ted Bundy ? Un William Gacy ? J’ai le regret de vous dire : aucun d’entre eux. Gilles de Rais est le Monstre des monstres. Et personne, pas même la Pucelle d’Orléans elle-même, ne douta un instant qu’un si charmant personnage puisse être aussi odieux.
Tels des monstres assoiffés de sang, les habitants des demeures du maréchal de France, en tête du peloton, se refermèrent comme des mâchoires sur de jeunes garçons qui avaient eu le malheur de demander l’aumône. Chaque fois, un même personnage est évoqué, il est vêtu d’un long manteau noir et d’un voile sur le visage. Lors du procès, ce personnage sera reconnu comme Gilles de Sillé, compagnon de Gilles de Rais. Un second personnage doit être évoqué, il s’agit de Poitou qui entra au service de Gilles de Rais comme page et sera en 1437, chambrier du maréchal, il est alors âgé de moins de 20 ans. Il égorgera souvent les victimes pour son maître.[5]
Les meurtres sont plus que ritualisés, ils sont savamment organisés, comme d’autres organisent des chasses en groupe, et de nos jours, des parties de golf ou des excursions de pêche. C’est tout comme on l’a vu avec Dion, la banalisation qu’ils font de leurs atrocités qui leur est commune.
Lorsque l’on commença à s’apercevoir de ces disparitions d’enfants, le peuple d’abord crut à des accidents, des noyades dans les rivières et les étangs. Mais très vite, comme aucun corps ne fut trouvé, on abandonna cette hypothèse. Les gens parlaient entre eux et différentes rumeurs se rependirent sur Gilles de Rais. En 1440, une enquête officielle est menée sur les affaires de Rais et le 15 septembre 1440, il est arrêté et emmené à Nantes avec ses plus fidèles serviteurs. Lors du procès, Henriet et Poitou déclarent se souvenir « d’avoir livré » chacun, une quarantaine d’enfants, avant de les assassiner pour assouvir de sodomitiques passions.[6]
« D’avoir livré ! » Vous avez bien lu. L’implacable tueur est confortablement installé chez lui et place ses commandes, attend patiemment et manifeste son contentement lorsque la marchandise arrive. Pour agir de la sorte, il faut écarter la pulsion sexuelle incontrôlable de Pierre Defoy qui risquait gros (à preuve son arrestation immédiate) en s’en prenant sauvagement à un enfant devant tous ces témoins. « Comme un vrai fou ! » ont-ils dit. Mais ici, tout est différent. Les enfants sont livrés, un à un, ou deux ou trois à la fois. Attention, ce qui suit est difficile à supporter.
Il est dit qu’avant de perpétrer ses débauches sur lesdits garçons et filles et afin d’empêcher leurs cris, et d’éviter qu’ils soient entendus, Gilles de Rais accrochait lui-même les enfants, parfois par le cou avec des cordes ou des crochets, puis il les relâchait, les soulageant, les assurant qu’il n’avait pas voulu leur nuire ou les blesser, mais qu’au contraire, il voulait seulement jouer avec eux. De cette manière, les enfants soulagés ne pleuraient plus. Gilles de Rais faisait alors démembrer les enfants par des complices, parfois il exposait les entrailles à l’air libre ou écrasait les têtes à l’aide d’une massue armée de clous ou encore, après leur avoir tranché la gorge, il se masturbait sur les veines du cou ou de la gorge, et sur le sang giclant. Parfois encore, il les violait alors qu’ils étaient dans la langueur de la mort, mais à la seule condition qu’il y ait encore quelque chaleur dans leurs corps. La vue du sang portait le Maréchal de Rais au plus haut degré de l’excitation sexuelle. Poitou confirma qu’il ne perdait rien de l’agonie de ses victimes. Lors du procès, Gilles de Rais précisa qu’il avait plus de plaisir au meurtre des enfants, à contempler leurs têtes et leurs membres séparés, à les regarder languir et à regarder leur sang couler, qu’à les connaître charnellement. Quand les enfants étaient morts, il les embrassait et il donnait à contempler ceux qui avaient les plus belles têtes et les plus beaux membres, ensuite il faisait cruellement ouvrir leur corps et se délectait de leurs organes intérieurs. De plus, dit-il, quand les enfants mouraient, il s’asseyait sur leur ventre et prenait plaisir à les contempler mourir tout en riant. À la fin de cette orgie, les serviteurs nettoyaient de ce jeune sang frais, les salles du château tandis que Gilles de Rais allait se reposer. Les cadavres étaient ensuite brûlés dans une vaste cheminée.[7]
Je n’exposerais pas ainsi dans cet article, le scénario graphique d’un épouvantable film d’horreur qui d’ailleurs n’a jamais été produit, pour le triste et malin plaisir de procurer des sensations à des lecteurs malades, pas très bien dans leur peau. Je le fais parce que ce sont des faits avérés et non fictifs et que si nous étudions le Mal, on ne peut se masquer la vue d’une main tremblante. Nous devons poser sur le Mal le même regard pénétrant que nous le faisons sur le Bien, car les deux font partie intégrante de l’ensemble de notre réalité d’êtres humains sur Terre. Tel le Yin et le Yang. C’est fait maintenant, inutile d’insister et je ne le ferai pas.
Ces tueurs sont comme nous, des êtres humains ! Mais attention, ce ne sont pas des pulsions incontrôlables qui génèrent leur odieux comportement, il y a ici une volonté expresse de faire le mal. Ce sont d’ailleurs ses propres mots : « J’ai pu faire tout le mal que je voulais. » Il y a derrière ces gestes posés une intention qui va bien au-delà de la simple satisfaction d’une faim quelconque comme nous l’avons vu avec Dion. Contrairement à tous ces tueurs, tout comme Karla Homolka, son passé est exempt de toutes contraintes ou déviances. Gilles de Rais n’a pas non plus connu les affres et les souffrances de la pauvreté et de l’indigence, si répandues à cette époque. Il voit le jour dans un château de la baronnie et y vivra une existence sans histoire. Il épousera sa cousine, et malgré quelques ennuis qui attendent le couple, rien de tout cela n’est assez terrible pour expliquer l’émergence du Père de tous les monstres à venir. Aristocrate comme d’autres, sa vie n’ayant rien de remarquable, n’eût été ses horribles crimes, Gilles de Rais ne serait jamais passé à l’histoire ou alors qu’en banales notes de bas de page. Malheureusement, nous ne détenons pas de preuves à cet égard en raison bien sûr du temps qui s’est écoulé depuis le 15e siècle. Nous ne pourrons donc pas prouver une psychopathie classique doublée possiblement d’un état psychotique lors de la commission de ces horreurs. Et quelle part de légendes sanguinolentes se love dans ces récits vieux de plusieurs siècles ? Autant, plus ou moins que l’histoire d’Elizabeth Bathory à qui on prête dans le même siècle plusieurs centaines de victimes ?[8]
Accusé de ses crimes, Gilles de Rais sera pendu et livré aux flammes, le 26 octobre 1440, et son corps sera déposé en l’église de Notre Dame du Carmel de Nantes. Il a fait le mal, a causé le mal, mais est-il Le Mal ? Nous ne le saurons jamais.
Prochain article (11). Psychopathes et psychotiques
[1] Georges Bataille, auteur de plusieurs ouvrages sur Gilles de Rais, « La tragédie de Gilles de Rais », dans Georges Bataille et Pierre Klossowski. Le Procès de Gilles de Rais. Documents précédés d’une introduction de Georges Bataille. Paris. Le Club français du livre. 1959.
[2] Michel Bataille, Gilles de Rais. Paris. Éditions Pygmalion, coll. « Bibliothèque infernale », 1976, et Jacques Boislève, « Monstruosité et marginalité chez Gilles de Rais », dans Arlette Bouloumié (dir.), Figures du marginal dans la littérature française et francophone, Angers, Presses de l’Université d’An.
[3] Jacques Chiffoleau. Gilles de Rais, ogre ou sérial killer ? L’Histoire No 335, Octobre 2008.
[4] Alain Bauer, Dictionnaire amoureux du Crime. Plon. 2013. Citizen X est un bon rendu cinématographique de l’affaire. Chris Gerolmo, réalisateur. 1995.
[5] Anne-Claude Ambroise-Rendu. Histoire de la pédophilie, XIXe–XXIe siècle. Paris. Fayard. 2014.
[6] Anne-Claude Ambroise-Rendu. déjà citée.
[7] Extraits de divers ouvrages : Chronologie de Gilles de Rais ». Cahiers Gilles de Rais juin 1992. p. 24. Christian Denis. Gilles de Rais. Chroniques d’un tueur en série. Les Éditions de Bonnefond. 2003. ET Hervé Boggio. Sire de Rais serial killer, sur republicain-lorrain.fr. 29 avril 2012.
[8] Caroline Néron jouera son rôle au cinéma en 2004 dans Eternal de Wilhem Lebenberg et Fédérico Sanchez.
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Esprit d’abord, humain ensuite
Jean Casault développe ici sa propre philosophie en titrant ce livre par sa devise personnelle qui lui fut révélée en plein Vol de Nuit. Il répond ainsi à toutes les questions existentielles qui puissent exister. D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Tout y est, dans une simplicité tout aussi divine que désarmante.
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Catégories :Le Mal
Et les victimes de ce type… Fatum?
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Évidemment. On ne change pas d’idée quand ca ne fait plus notre affaire.
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Eh bien! Je ne connaissais pas ce monstre.
Je n’en ai même jamais entendu parler.
Puis-je imaginer que son esprit diabolique revêtu de la mémoire de son âme croupit dans la torture de l’enfer qu’il s’est lui-même créé pour des siècles et des siècles?
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J’ose espérer que s’il est de retour c’est dans de meilleurs dispositions.
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Je le souhaite!
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